Gainsbourg Une histoire vraie
EAN13
9782352883524
ISBN
978-2-35288-352-4
Éditeur
City Edition
Date de publication
Collection
CITY EDITIONS
Nombre de pages
272
Poids
334 g
Langue
français
Code dewey
782.421
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Gainsbourg Une histoire vraie

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Préambule

Près de vingt ans après sa mort, Serge Gainsbourg fait l'objet d'un consensus quasiment unanime : musicien d'un éclectisme prodigieux, auteur dont le cynisme camoufle à peine la sensibilité à fleur de peau, il est désormais considéré comme la référence suprême dans le domaine de la chanson : un poète, un créateur aux multiples facettes, un monument à lui tout seul.

Gainsbourg aura vécu assez vieux pour se voir transformé en légende alors qu'il était encore vivant. Il aura d'ailleurs tout fait pour. On peut même dire que la préoccupation principale de son existence aura été de se constituer un personnage et de le retoucher patiemment, jusqu'à ce fameux Gainsbarre, ce double encombrant derrière lequel il pouvait s'abriter sans avoir l'air de se compromettre.

Sa vie, qu'il a exposée au grand jour à travers les médias dès les années 1960, paraît assez connue, jalonnée de coups médiatiques savamment orchestrés et d'aventures avec quelques superbes créatures souvent venues du cinéma.

Pourtant, ce dernier point est à nuancer, car, si le potentiel de séduction de Gainsbourg est incontestable, sa vie amoureuse n'est pas aussi flamboyante que ne le prétend la rumeur : les femmes qui l'ont aimé l'ont finalement quitté, et Juliette Gréco, Anna Karina, Catherine Deneuve, Vanessa Paradis, entre autres stars avec qui on lui a prêté une liaison, n'ont en réalité pas leur place parmi les trophées de son tableau de chasse. Beaucoup de ses chansons d'ailleurs évoquent l'échec de la relation amoureuse, l'incompréhension entre les sexes. On y trouve une part de vérité, mais aussi de fantasme, avec quelques obsessions récurrentes, en particulier celle de la pureté.

Beaucoup de choses déjà ont été dites et écrites sur Gainsbourg. De son vivant, la presse n'a pas été tendre avec lui : on l'a attaqué sur son physique, sur sa médiocre aptitude à chanter en public, sur ses provocations calculées, et sur l'image de semi-clochard qu'il se plaisait à donner alors qu'il était devenu immensément riche.

Son image d'ailleurs semble dégénérer au fur et à mesure des années. Mais alors, que s'est-il passé ? Comment ce jeune homme chic et délicat de la fin des années 1950 est-il peu à peu devenu cette sorte de larve médiatique, jusqu'aux lamentables prestations télévisées de la fin de sa vie, où il ressasse les éternelles mêmes formules en bafouillant dans sa barbe de trois jours ? La qualité de son œuvre suit-elle une même courbe descendante, inversement proportionnelle à son succès ? N'y a-t-il pas là une bonne raison de désespérer ?

Pour rendre justice à Gainsbourg, il faut essayer de le comprendre de l'intérieur. Lui-même se jugeait avec sévérité. D'abord il se trouvait laid, à tort ou à raison. Cela n'en fait certes pas un monstre, mais cette haine de soi explique beaucoup de choses, et notamment cette forte tendance à l'autodestruction.

D'autre part, Gainsbourg avait assez de lucidité pour ne pas se prendre pour un génie. Entre ces deux extrêmes, le monstre et le génie, se trouve un homme au parcours unique et exemplaire. Un personnage protéiforme, fragmenté à travers ses multiples apparitions médiatiques et les centaines de chansons qu'il a écrites : c'est là qu'il faut d'abord chercher pour saisir la vérité d'un homme complexe, et complexé.

I

Lucien Ginsburg

Pour comprendre Serge Gainsbourg, il faut d'abord détacher les identités successives dont il s'est affublé au long de sa destinée, et retrouver l'enfant qu'il n'a jamais vraiment cessé d'être. Il faut revenir à Lucien Ginsburg, son vrai nom. Prononcez « Guinnsbourgue » en roulant le r à la russe : c'est ainsi que le prononcent ses parents, Joseph Ginsburg et Goda Besmann, dite Olga Yacovlevna. Plus tard, Gainsbourg évoquera ses « parents russes qui se sont tirés de la révolution bolchevique [...] Ils se sont rencontrés sur les bords de la mer Rouge... ou Noire, je sais plus... Ma mère était infirmière à Odessa quand il y a eu cette épidémie de peste1... ». Joseph joue du piano, Olga chante, elle est mezzo-soprano. Lui travaille comme pianiste professionnel, elle est infirmière à Saint-Pétersbourg. Il la rejoint, car il l'aime. Mais la Russie est en ébullition : c'est la guerre civile, la révolution, les massacres, les pogroms... Joseph et Olga se marient en 1918 et décident de fuir la Russie. Ils passent par Istanbul, ensuite Marseille où ils débarquent en 1921, et finalement Paris.

La France de l'après-guerre de 14-18 a perdu beaucoup de ses fils et accueille favorablement toute cette vague d'immigrés venus de Russie. Les Ginsburg seront tous naturalisés français en 1932. Ils garderont la nostalgie d'un pays jamais revu, d'une famille disparue.

« J'ai perdu mes racines, je n'ai jamais connu mes grands-parents2 », dira Gainsbourg. Il fantasmera sur cette origine et brodera sur son identité, à commencer par son nom. Ce patronyme plusieurs fois modifié, Ginsburg, Guimbard (c'est sous ce faux nom qu'il se cache en 1943), Ginsbourg (c'est ainsi qu'il signera ses tableaux), Gainsbourg, Gainsbarre... À ses premiers biographes, Yves Salgues et Gilles Verlant, il prétendra curieusement que son vrai nom est Ginzburg avec un z. « Pour raisons esthétiques », expliquera-t-il ensuite. Rappelons que « Ginsburg » est une traduction approximative du russe, transcrite depuis l'alphabet cyrillique. Lucien l'entendra souvent écorché par ses professeurs : « Jinsbur » ou « Jinnsbeurgue », par exemple... Aussi le choix de « Gainsbourg » s'imposera plus tard comme le meilleur compromis entre la prononciation originelle et l'orthographe française.

Donc, Lucien Ginsburg naît le 2 avril 1928. Il a déjà une sœur aînée, Jacqueline, et une sœur jumelle, Liliane. Quelques mois plus tôt, il y a eu un autre enfant, Marcel, emporté à sept mois par une pneumonie foudroyante. Ce frère mort, ce double mythique, Gainsbourg n'en parlera jamais ni en interview ni dans aucune chanson. Il n'est guère question de frère et sœur dans ses textes ni ses films3.

Mais il a raconté les conditions de sa naissance. Lorsqu'elle apprend qu'elle est enceinte, Olga veut d'abord se faire avorter. Elle va voir ce qu'on appelle un faiseur d'anges, un médecin marron dont l'adresse se repasse sous le manteau. Arrivée à Pigalle, elle voit la salle d'opération clandestine, une cuvette d'émail ébréchée et crasseuse. Terrifiée, elle part en courant : c'est ce que Gainsbourg appellera son « premier sursis ». Sauvé par la crasse et le sordide en somme...

Son père le met au piano dès six ans. L'apprentissage est sévère : l'enfant pose son mouchoir à côté du clavier avant de commencer à jouer, car les séances finissent souvent en pleurs. « J'étais un petit garçon adorable, d'une timidité maladive et ayant la larme facile4. »

Cette dernière caractéristique, Gainsbourg la gardera jusqu'à la fin de sa vie, où on le verra pleurer en direct à la télévision... Joseph est parfois violent et colérique ; il peut frapper à coups de ceinturon, enfermer son fils dans le placard. « Mon père était très sévère, une fois il m'a tellement tiré l'oreille qu'il me l'a décollée, ça a saigné5... »

Mais cette éducation à la dure est courante à l'époque, et Gainsbourg a posteriori n'en éprouvera aucune rancune, bien au contraire : « Je sais gré à mon père qu'il m'ait tiré les oreilles souvent... Il faut d'abord la discipline. Après on devient indiscipliné éventuellement, comme moi6. » Gainsbourg lui-même sera d'ailleurs un père exigeant, très à cheval sur les bonnes manières.

En dehors des scènes de colère paternelles, la vie de famille des Ginsburg est loin d'être morose. Olga toute sa vie chérira son unique fils et aura avec lui une relation privilégiée. Cela n'empêche pas madame Ginsburg de se montrer volontiers sarcastique. Les témoignages concordent : « Elle était d'une drôlerie ! » dit Jane Birkin. « Elle était méchante... comme moi7 », confirme Gainsbourg. Pas besoin de chercher de qui Gainsbourg tenait cet humour vachard et parfois agressif.

En 1932, l'année où ils deviennent français, les Ginsburg s'installent 11, rue Chaptal, dans le IXe arrondissement de Paris. En 1982, Gainsbourg reviendra filmer ce quartier pour un court métrage de 15 minutes, Lettre d'un ...
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