Récidives
EAN13
9782810003495
ISBN
978-2-8100-0349-5
Éditeur
Editions Toucan
Date de publication
Collection
TOUC.NOIR
Nombre de pages
272
Dimensions
21,6 x 14 x 1,5 cm
Poids
360 g
Langue
français
Code dewey
849
Fiches UNIMARC
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Autre version disponible

eISBN 978-2-8100-0545-1

© Éditions du Toucan/TF1 Entreprises

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Assis près de la fenêtre de sa cellule, Keny Arkana dans son casque audio, Léo regardait les mouettes becqueter le pain et les restes de bouffe balancés dans la cour par les détenus. Un courant d'air fit voler les pages des magazines posés sur la table. Léo se tourna vers la porte. Un maton s'y encadrait. 30 ans, pas très haut de taille, plutôt frêle, une tronche couverte d'acné qu'il essayait de rendre moins nase en se hérissant les cheveux au gel et en portant des lunettes Cartier très mode. Hormis l'âge, les deux hommes n'avaient rien en commun. À les regarder, on aurait dit que c'était le crabe1 le truand. Léo, tout juste 30 ans lui aussi, belle gueule, brun aux yeux clairs, les tempes déjà un brin grisonnantes, un mètre quatre-vingt, sec mais plutôt taillé, faisait l'effet d'un bon mec simple, un prof de gym tiens, ou un brave pompier. L'autre, plein de grimaces de dur, de clins d'œil entendus, le genre à s'exprimer autant avec les mains qu'avec la bouche, faisait l'effet d'un Al Pacino de série B.

Le reconnaissant, Léo retira son casque audio.

— Salut Bertrand.

— Salut Léo.

Bertrand Bordille avança le poing pour checker. Ça aussi c'était un truc qui gavait Léo. Le check avait déboulé en France avec les baggys, le son et les graffs des ghettos ricains quand il était môme. Pour lui et ses potes, ça voulait dire quelque chose. Les frocs qui descendent sous le caleçon, les tennis ouvertes : clins d'œil aux gardes à vue quand les flics vous retirent les lacets et la ceinture. Avec Vincent son assos' et les autres mômes du coin, prendre des risques de ouf pour planter sa griffe partout où ça se pouvait pas, c'était une question d'honneur. Aujourd'hui ça ne voulait plus rien dire, c'était juste la mode. Même les flics, lorsqu'ils se débarrassent de leurs tenues, se déguisent façon « garde à vue » et écoutent du son antisocial et checkent comme les flingueurs du West Side.

Tout de même, Léo se soumettait à cette corvée du check. Inutile de vexer le maton. Il était bien trop précieux. D'ailleurs Léo n'était pas le seul. Tous les voyous qui profitaient de ses services dans la centrale jouaient le jeu.

Léo obstrua l'interphone d'un épais morceau de carton. De cette manière, il réduisait les risques que sa conversation avec Bertrand soit écoutée par le maton du contrôle.

— Alors tu as reçu ta date de libération?

Malgré ces précautions, les deux hommes s'exprimaient à voix basse.

— Je sors dans deux jours. Si tout va bien.

Léo avait rajouté cette dernière phrase par superstition. Il était en fin de peine. Les risques de voir sa sortie annulée étaient faibles. Il n'aurait pas fallu qu'il commette un nouveau délit ou qu'une vieille affaire lui tombe dessus au dernier moment. Une sacrée poisse. Tout de même, on ne sait jamais, depuis qu'il avait signé ses grâces, il se faisait tout petit dans la ratière. Pas par crainte d'un incident avec un maton. En centrale, c'était plus cool qu'en maison d'arrêt. Contraint de vivre ensemble un paquet d'années, chacun essayait d'éviter de pourrir les relations. Le souci, c'était les autres détenus. Cette putain de fierté, c'était plus fort que tout. Plus fort que la liberté parfois. Un mot de trop, un malentendu, une dispute à la con et tu pouvais te retrouver en embuscade au coin d'une coursive, une chaussette remplie de piles, ou pire une lame à la main.

Vraiment pas envie de ça. Par prudence, dans la cour de promenade, Léo avait limité ses fréquentations à ses proches potos. Il avait même arrêté les parties de carte et surtout, les sports collectifs : devant un ballon, le plus raisonnable des lascars peut devenir vraiment tocard.

En revanche, question vieux contentieux avec la justice, il était tranquille. Après quatre piges de ratière, si elle avait eu une affaire dans les tiroirs, l'administration judiciaire aurait largement eu le temps de venir lui demander des comptes. Ce genre de mauvaise surprise n'arrivait qu'aux gars qui étaient tombés pour la came. Ceux-là, pour mieux les tordre, les douanes attendaient toujours le dernier moment pour venir leur réclamer la taxe sur la marchandise qu'ils avaient importée illégalement sur le sol national et la copieuse amende qui l'accompagnait. Une somme d'extraterrestre : avec un salaire normal, même en travaillant jour et nuit, impossible de s'en acquitter. Celui qui n'avait pas prévu dans son budget sortie quelques milliers d'euros pour calmer les douanes était bon pour six ou dix mois de rallonge en attendant que celles-ci reviennent lui mettre la pression pour lui pomper les trois sous qu'il aurait pu mettre à gauche.

Léo lui, à gauche, il avait que dalle. Avec Vincent son assos', c'était pas l'équipe du siècle; voleurs depuis tout mômes ils n'avaient jamais fait de miracles. D'abord cambrioleurs d'appartements, ils étaient vite passés au vol à main armée. Rien de bien extraordinaire, des petits braquages à l'arrache. Vingt, trente mille euros par-ci, par-là. De quoi bien vivre, mais pas de quoi gonfler le bas de laine.

En fait, le seul bien que Léo possédait, il l'avait touché à l'honnête. C'était une petite kaire2à Montreuil qu'il avait hérité de ses vieux. Une bicoque étroite si paumée au milieu des barres de béton, des roulottes et des écoles de la « Rienpublique » que même les plus gauchistes des bobos n'auraient pas eu le cran d'y installer leurs têtes blondes.

Pour le reste, lorsqu'il était en prison, Léo comptait sur son poto, et réciproquement. Et, beau gosse, pas mauvais tringleur, c'était rare qu'à l'extérieur il n'y ait pas une frangine remplie de gratitude qui lui envoie un bout de thune pour améliorer le quotidien.

Bertrand glissa la main dans la poche de son uniforme et en sortit un paquet enveloppé de papier kraft.

— Tiens, de la bonne barbaque.

Léo se saisit du paquet et en écarta le papier. Il contenait un énorme steak. Bertrand tira ensuite un flash de J&B de la ceinture de son pantalon.

— Celle-là je ne l'ai pas fait payer à ta chérie, dit-il en lui tendant la bouteille. Cadeau pour fêter ta libération.

— « Cadeau » ? Avec ce que t'as gagné sur nous, c'est pas du luxe.

En même temps, Léo attrapait un sac en plastique à fermeture hermétique dans son placard et y versait une partie du whisky.

— Qu'est-ce que c'est à côté des cinq cent mille euros que tu vas ramasser grâce à moi ? sourit Bertrand.

L'ayant à demi rempli, Léo ferma hermétiquement le sac en plastique.

— Ouais, faudra quand même aller les chercher là où ils se trouvent.

— Je te l'ai dit. Mon contact a tout calculé.

— Ton contact, ton contact, t'as que ça à la gueule. Quand je serai dehors, faudra quand même que je le rencontre.

Léo était maintenant à genoux devant la lunette des toilettes. La manche de son sweat relevée jusqu'à l'épaule, il enfonçait le sac à moitié plein de whisky dans le siphon.

— Non, ça je te le dis comme je l'ai dit aux autres, ce n'est même pas la peine d'y penser. Mon contact tient à préserver son anonymat. Vous ne le rencontrerez jamais. Tout passera par moi.

— C'est facile pour ton mec. Nous, on va au turbin. Si ça se passe bien, il touche, si ça tourne mal on entend pas parler de lui.

— Oui, mais en échange il vous apporte le casse bien huilé. Douze millions de bijoux. Ça vous changera de vos combines minables qui n'ont fait que vous envoyer chaque fois en taule.

En d'autres circonstances, cette remarque désobligeante, même si elle n'était pas tout à fait fausse, aurait aussitôt été sanctionnée d'une bonne droite. Mais douze millions de bijoux, même vendus au quart de leur valeur, ça aide à faire le canard3.

Tout de même, Léo se releva et vint se planter devant lui en le fixant dans les yeux, l'engageant de cette manière à ne pas pousser le bouchon trop loin.

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